Jessica Lescs, artiste plasticienne et avocate en droit des étrangers et international, invite trois artistes (musicien, danseur et photograhe) et propose d’explorer, à l’issue d’une succession de workshops les questions posées par Amin Maalouf dans son essai Les identités meurtrières, les liens entre « l’itinéraire que nous esquissons » et « l’identité que nous façonnons ». Elle ajoute au questionnement l’impact de cet itinéraire d’identités sur notre propre processus créatif. 

Une réflexion née de son vécu, de sa double activité, de ce travail à la fois méditatif dans le dessin et de cet engagement combattif et parfois guerrier pour la défense des victimes de crimes internationaux, de ceux qui fuient la violence et les lois liberticides. C’est à travers sa lecture d’Amin Maalouf qu’un travail se dessine sur les liens qui se tissent entre ces deux parties d’elle-même, parfois opposées parfois rassemblées, pour trouver au cœur de ce texte un moyen de sortir de la division. Elle travaille alors à l’écriture de son processus créatif, ces moments quotidiens à l’atelier où tout la traverse et notamment les dossiers sur lesquels elle travaille en tant qu’avocate. Elle aurait souhaité initialement ne penser qu’à l’atelier et à la matière à l’atelier et similairement à son cabinet d’avocat. La rencontre de ce texte d’Amin Maalouf la transporte dans un monde plus grand, plus poreux, où la nécessité de l’unité lui parait indispensable. 

Après cette première phase, elle commence à travailler avec Illés Sarkantyu, photographe et vidéaste franco-hongrois, particulièrement intéressé par ce projet et par l’univers de l’atelier de Jessica baigné de phénomènes lumineux se produisant au sol naturellement un mois par an et auquel Illés assiste. La poudre de fusain que Jessica utilise la fascine, l’hypnotise même parfois (au point d’en mettre trop). Capter ce nuage de fusain devient une quête. Elle fait le constat que toute activité humaine produit un rythme et un mouvement, le mouvement circulaire qu’elle expérimente en passant son balai-pinceau sur le papier la libère. Sa réflexion l’amène à constater que le rythme produit par le parcours migratoire, effréné au départ du pays d’origine, le mouvement suspendu dans le temps et dans l’espace dans un premier pays d’accueil, s’achève par une traversée du désert :  une suspension administrative dont les réfugiés viendront parfois à bout plusieurs années après seulement.

L’installation performance identités composites débute sur le travail à la poudre de fusain initié au sein de l’atelier de Jessica, pour s’ouvrir sur un film réalisé par Illés et Jessica projeté au sol de dessins au fusain et de lumière que les danseurs traverseront, au gré de la danse, du souffle et du symbole. Deux mediums se font écho : la poudre de fusain et la danse soufie. La poudre de fusain, matériau de l’impermanence, si volatile, permet comme le dit William Kentridge de modifier l’œuvre comme on change ses pensées. La danse soufie, danse spirituelle et libératrice, qui fait le lien à travers l’humanité entre la terre et le divin,  symbolise le don et le partage où « tout ce que je reçois passe par mon cœur pour être redistribué à nouveau » (Rana Gorgani).

Les danseurs continuent leur marche et leur danse dans la poudre de fusain, recouvrant au fur et à mesure un territoire du papier. Une plongée dans le cheminement, les croisements de chacun et le développement des « appartenances » comme l’exprime Amin Maalouf dans son essai.

Cette installation performance aborde à travers le rythme et le mouvement du parcours migratoire la très grande nécessité de sortir les réfugiés de cette catégorie bien connue du « migrant ».  Parce qu’il y a un danger à vouloir à tout prix définir l’autre. 

Une ode à la liberté de l’esprit, de l’être, que chacun doit pouvoir atteindre.